Le jeune infant - tout juste un nouveau-né, en fait - se tenait debout sur un rocher surplombant ce qu'il considérait déjà comme son territoire. Il empestait encore de tous les effluves d'un corps qui n'était pas encore vampirique, pas encore endurci ni dépouillé de ses réflexes mortels, charnels, tellement vulgaires. Je réprimai un frisson de dégoût.
Plus tôt dans la nuit, je l'avais remarqué, jouant et bondissant dans les décombres, pourchassant d'autres infants moins matures, ou plus malformés, ou inactifs, trop larvesques pour répliquer. Ce n'étaient pas là de bien valeureux adversaires, mais il s'échinait, s'évertuait à maîtriser son nouveau corps, ses nouveaux pouvoirs. Pauvre infant ! Mais sa vivacité joueuse m'avait amusé.
L'aube s'approchait, j'avais en tête une réplique du jeune Nick - que voulait-il dire avec son cheval qui marchait avec un pas sanglant ? Et son amble hématique ? Et son problème de maths sanglant ? Obnubilé par ces graves questions, j'avais perdu Rahasia à qui je voulais demander des nouvelles du clan. Je m'en étais éloigné quelque jours, je souhaitais me remettre au courant avant de comparaître devant notre Lady. Et que faisait Rahasia dans ces parages douteux ? Ce fut dans ces heures grises que je le croisai à nouveau.
Debout sur son rocher, il lorgnait d'un air matois le champ de ruines alentours, à l'extrême périphérie de la cité. Son regard possessif couvait déjà avec envie les territoires plus éloignés. Donnez-leur quelques victoires, et les voilà qui s'imaginent conquérants, empereurs ! Tous les mêmes, avoir les dents longues est une chose, encore faut-il savoir rester à sa place, pensai-je avec irritation.
Quelques nuits plus tard, quand Rahasia nous fit part de la requête d'un de ses amis qui souhaitait intégrer notre Famille, je me rappelai ce jeune vampire. Ambitieux, et alors ? Sa curiosité, sa vivacité m'avaient plu. il semblait plus éveillé que tant d'autres... Mais de là à le considérer comme un des miens...
Que nous voulait-il, au juste ?
Juste un peu de compagnie pour tromper sa solitude ?
Avait-il besoin d'un manteau protecteur, comme les sycophantes ont besoin d'un maître pour se sentir en sécurité ?
Cherchait-il à utiliser nos liens pour se lancer dans le monde, comme des ambitieux utilisent leurs amis comme tremplins ?
Un terrain de jeu de société, pour distiller son venin, sous couvert de fausse modestie ?
Des informations sur le clan ? Se pouvait-il qu'il fut un agent des wolfenstein, des frères de l'ombre, en quête d'un point faible dans notre union ? Un futur traître ?
Et puis, LadyLilith (loué soit son nom !) me montra sa requête. Le ton me fit sourire, mais sonnait juste. Bast ! A force de cotoyer des garous, arachnoïds, trolls, mutants, et autres sombres créatures que l'esprit rationnel aurait peine à nommer, l'on oublie qu'il peut exister des êtres fréquentables même hors de la famille. serions-nous devenus si méfiants ? Que risquions-nous ? Au pire, une déception légère. Au mieux, un ami véritable ?
Ami Drekkhen, je veux bien te tendre la main et te considérer comme mon petit frère... Mais sois respectueux avec notre Dame, aimant et loyal envers tes frères et soeurs, que tes intentions soient pures, sans quoi tu auras affaire à moi.
Je vais donc intercéder auprès de notre Succube (Grande est sa Magnificence) pour qu'elle daigne t'accepter, mais saches qu'elle seule décidera.